Ce qui apparait aux époques cruciale de l'Histoire est comparable aux "émergences" dont parlent certains philosophes. Ainsi l'invention de l'écriture, au troisième millénaire avant notre ère.
Et n'est-ce pas une autre "mutation", que celle transformation du manuscrit en livre imprimé? Dans la carrière de cet "ètre" étrange qu'est le texte écrit, grace auquel peut se transmettre la pensée à travers le temps et l'espace, des caractéristiques nouvelles et révolutionnaires apparaissent brusquement. Si, dons les débuts, sa structure ne change guère - le livre du XVe siècle ressemble autant qu'il le peut au manuscrit -, la matière dont il est fait est assez nouvelle en Europe: une pellicule de nature végétale, le papier, remplace le parchemin d'origine animale. D'autre part, et surtout, il se reproduit infìniment plus vite et plus facilement: au lieu de s'ajouter lentement les uns aux autres, les exemplaires apparaissent par certaines, par milliers à lo fois.
Le présent ouvrage montre quelles furent les phases de cette métamorphose. Il permet de se rendre mieux compte, d'une part des conditions qu'elle exigeait pour se produire, et, d'autre part, des profondes modifìcations qu'à son tour le livre imprimé - "ce ferment" - imposa à la culture européenne. Fille, si l'on veut, de l'humanisme naissant, l'imprimerie en assura les progrès et le triomphe. Cent ans après sa découverte, elle avait créé un monde nouveau - et une mentalité nouvelle.
On verra dans ces pages comment typographes, maitres imprimeurs, libraires, auteurs, ont constitué un monde à part, qui, en cette époque tout imprégnée encore de Moyen Age, avait un état d'esprit étonnamment ouvert, moderne, pourrait-on dire, - et dont, nécessairement, l'influence fut grande. Ainsi les hommes ont fait les livres, et les livres ont, à leur tour, façonné les hommes.
Histoire de la pensée, histoire des techniques, érudition bibliographique, psychologie des sentiments - connaissance des hommes -, tout cela était nécessaire, tout cela a été effectivement mis à contribution ici, par Lucien Febvre et Henri-Jean Martin. Maintenant, grace à eux, se trouvent mieux éclairées les origines de nos manières de vivre et de penser, - et se voient mieux: les origines du monde moderne.